M. RIMBERT, son ami M. DESTOUCHES
La scène figure une cage d'escalier avec un ascenseur, dans laquelle se trouvent M. Rimbert et son ami. M Rimbert a autour du cou une souris informatique qui pend à un câble doré. Une partie de la conversation se déroule dans l'ascenseur dont la porte reste ouverte.
M. RIMBERT. - Vous êtes bien bon d'être venu me chercher. En fait, si je vous ai fait venir, c'est que j'ai une révélation importante à vous faire et c'est avec vous, mon ami de toujours, que je veux la partager en premier.
M. DESTOUCHES. - Quelque chose de grave ? Un ennui ?
M. RIMBERT. - Mais non ! Je viens de m'inscrire aux Cours de la Souris. Mais attendez, je réfléchis... je clique sur « Démarrer », je sélectionne « Programme », « Mes documents », je choisis « Propriétés », le sous-menu « Confidentialité » s'ouvre, je valide...
M. DESTOUCHES. - Démarrer : mais l'ascenseur est là ; inutile d'appuyer sur « Démarrer ».
M. RIMBERT, mécaniquement, mais avec un certain entrain. - Je consulte l'historique...
M. DESTOUCHES. - « Historique » : ah ! vous vous initiez à l'histoire ?
M. RIMBERT. - Je clique sur « Moteur de recherche ».
M. DESTOUCHES. - Ah ! ce sont des cours de conduite ?
M. RIMBERT. - Dans le menu « Fichier », je clique sur « fermer », menu « Démarrer »...
M. DESTOUCHES. - Mais alors, c'est de la gastronomie ?
M. RIMBERT. - ... et je ferme la session !
M. DESTOUCHES, hagard. - Non ? Vous vous lancez dans la politique ?
M. RIMBERT, très absorbé. - Vous pourriez attendre que j'active mon exercice, cher ami... Car si vous m'aviez perturbé pendant cette simulation mentale...
M. DESTOUCHES, à part. - Un problème mental, à n'en pas douter !
M. RIMBERT continue, imperturbable, d'une voix blanche. - ... de session informatique, j'aurais peut-être commis une erreur fatale et mis en péril mon cher processeur.
M. DESTOUCHES. - Votre cher professeur ? Quel professeur ?
M. RIMBERT. - Silence ! Savez-vous quelle merveille est un ordinateur ?
M. DESTOUCHES. - Oui, mais, mon ami, venez-en au fait ! Pour l'instant vous êtes dans un ascenseur, vous n'avez pas d'ordinateur et...
M. RIMBERT. - Ah béotien que vous êtes ! Pour les savants comme nous, informaticiens chevronnés, hackers impitoyables, l'ordinateur est bien plus qu'une machine : c'est un compagnon qui ouvre les portes du savoir.
M. DESTOUCHES. - C'est donc de l'informatique que vous étudiez ? Que ne l'avez-vous dit dès l'abord !
M. RIMBERT. - Figurez-vous que je viens d'être introduit dans cette sphère si choisie, quand ce matin j'ai acheté mon premier ordinateur : 1,8 gigahertz, 256 de RAM, lecteur DVD, CD, graveur, des gigabytes, des octets, des pixels... Ces mots me font rêver ! Essayez donc, vous, de dire « gigahertz » !
M. DESTOUCHES, complètement déconcerté. - Pardon ?
M. RIMBERT. - Allez, dites un peu « gigaghertz » pour voir... Ce mot vous emplit d'une sensation de puissance...
M. DESTOUCHES, refusant de s'exécuter. - Mais, dites-moi, cher ami, c'est une souris que vous portez autour du cou ?
M. RIMBERT. - Elle vous plaît, n'est-ce pas ? Article japonais, très rare... C'est qu'il faut vivre avec son temps, se cybernétiser ! Les bijoux, les chaînes, ça fait désuet. Avec une souris autour du cou, je mêle l'utile à l'agréable et je montre au monde que je suis dans la course informatique.
M. DESTOUCHES, à part. - La course info...
Ils sortent de l'ascenseur ; M. Rimbert s'emballe...
M. RIMBERT. - Parfaitement ! Hier encore, j'étais un homme comme les autres, avec une petite vie médiocre ! Mais aujourd'hui mon épanouissement commence grâce à la Trinité du clavier, de l'écran et de l'unité centrale...
Il entonne quelques notes d'un chant grégorien.
M. DESTOUCHES, à part. - Il est fou à lier ! Haut : En somme, vous ne connaissez rien à la micro-informatique...
M. RIMBERT. - La micro-informatique n'est qu'une petite partie de l'Internet.
M. DESTOUCHES. - Mais, c'est absurde ! Vous comparez des choses incomparables : l'une est technique, l'autre est un concept.
M. RIMBERT, l'air ahuri. - Mais, cher ami, si l'Internet est un concept, comment expliquez-vous qu'on y « navigue » ? Non, c'est un univers mystique, une sorte de grand cosmos où les éclairés dont je fais partie flottent et baignent dans une toile d'informations... Je me sens souris, je me sens araignée, ... Vous ignorez le plaisir intense de caresser des touches...
M. DESTOUCHES. - Je vous en prie, modérez vos ardeurs ! Mais dites-moi, sans vouloir vous froisser, avez-vous seulement consulté quelqu'un qui puisse clarifier le fouillis intellectuel dans lequel vous vous trouvez ?
M. RIMBERT. - Le vendeur m'a bien dit d'« acheter un mel », mais l'achat de mon ordinateur m'avait déjà laissé sans le sou...
M. DESTOUCHES, à part. - « Acheter un mel » ? Ah ! HTML ! Haut : Mais c'est une catastrophe !
M. RIMBERT. - Mais, non, ne vous tracassez pas, j'en achèterai un le mois prochain. Je progresse si vite ! Et puis, mon disque a beau être dur, d'ici une bonne semaine, il devrait être plus souple. Mais voyez-vous, sans vouloir vous vexer, si c'est avec vous que j'ai voulu partagé la primeur de tout cela, c'est que j'ai senti que dans votre nom il y avait une certaine prédestination. Destouches ! Ah je donnerais des millions pour porter ce nom ! Je voulais vous demander si nous ne pourrions pas échanger nos noms... Mais vous avez l'air interdit !
M. DESTOUCHES. - Non, ce n'est rien, je vous ramène chez vous... et pour ce soir, je vous conseille de cliquer sur « fermer ».
M. RIMBERT. - Ah vous voyez, vous êtes converti, la grâce vous a touché ! Je le savais bien, que vous étiez prédestiné...
M. Rimbert, ravi, se laisse emmener.
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