Pour des brioches Deux employées du Monoprix Saint-Paul (IVe arrondissement) ont été licenciées pour avoir acheté des brioches démarquées à 1,50 franc. Faute grave, affirme la direction. Le personnel se tait.
Le jeudi 26 janvier, 10 minutes avant la fin de leur service, Nadia et Edwige font quelques courses rapides dans le magasin Monoprix de Saint-Paul où elles travaillent. Comme à leur habitude. Toutes deux sont conditionneuses, depuis cinq et quatre ans: elles commandent la marchandise, la mettent en rayon, et parfois tiennent la caisse. Ce qui ne rentre pas dans leurs attributions, mais leur a été imposé. Ce jour-là Edwige s'occupe de l'assortiment du rayon viennoiseries. Elle démarque des paquets de brioches, des cakes, des pains au chocolat, dont la date de péremption approche.Une pratique courante pour écouler les stocks avant la date limite. Elle étiquette les brioches à 1,50 F (au lieu de 14,90 F), pour éviter d'avoir à les jeter. «J'ai toujours procédé ainsi depuis mon arrivée, raconte-t-elle aujourd'hui, jamais je n'avais eu une remarque de la part de mon chef de rayon.» Les deux amies achètent pour leur compte les fameuses brioches à 1,50 franc, se changent et se dirigent vers la sortie. Là, une vigile - qui est également payée pour surveiller le personnel - les arrête, les fouille, découvre les brioches et appelle le directeur. Arrivées dans son bureau, le ton monte. Il leur reproche de procéder à des démarques pour leur propre compte sans en référer à leur supérieur, s'emballe, appelle la police. Les forces de l'ordre fouillent les deux jeunes femmes, puis les embarquent. Quant au directeur, M. Boukhedid, il porte plainte. Immédiatement mises à pied, Nadia et Edwige sont licenciées le 8 février pour faute grave. «Pratiquement sorties menottes au poignet»
Un mois après, les deux jeunes femmes n'en reviennent toujours pas. En l'absence de représentation syndicale dans le magasin, par ailleurs franchisé, elles se sont tournées vers la cellule locale de la CGT. Depuis, elles font signer des pétitions aux clients à l'extérieur du magasin, dans l'espoir d'une réintégration... A l'intérieur du Monoprix, peu de choses ont filtré sur l'incident. Tout juste sait-on dans les rayons non alimentaires que deux filles ont été licenciées. Les versions les plus décousues circulent sur le sujet. «Elles ont volées non?» interroge une vendeuse. Seul un chef de rayon s'indigne: «Les démarques de ce genre c'est courant, dit-il. Je ne comprends pas pourquoi elles ont été jetées de la sorte. C'est moche, elles sont pratiquement sorties menottes au poignet.» Accepterait-il de témoigner en leur faveur? «Ne vous y trompez pas, les gens ont la trouille pour leur emploi, moi le premier. Je désapprouve l'attitude de la direction, mais je ne bougerai pas.» Une petite phrase qui explique tous les silences gênés. La prudence s'érige ici en vertu. A la papeterie, une ancienne tranche: «Les démarques c'est l'affaire des chefs. Moi, je demande toujours l'avis du mien avant de faire quoi que soit, c'est le plus sûr moyen de ne pas avoir d'ennuis.» Derrière une porte au rez-de-chaussée du magasin, un escalier mène à l'étage de la direction. Une secrétaire fait barrage et s'insurge: «Pourquoi voulez-vous voir le directeur? Si elles ont été licenciées, c'est qu'il y a bien un motif. On ne renvoie pas les gens sans raison.» L'évocation d'un possible licenciement abusif la laisse sans voix: «Ça existe?» demande-t-elle, visiblement déconcertée. Les échanges avec la direction s'arrêtent là. Dans son bureau, monsieur Boukhedid, affirme avoir d'autres chats à fouetter.
«A croire qu'on voulait nos têtes»
Un peu plus tard, au siège de Monoprix, le responsable du personnel, gêné aux entournures, s'esquive: «Nous n'avons pas la mainmise sur nos franchisés.» Au courant des licenciements de Saint-Paul, il pense que la direction du magasin a voulu faire un exemple: «Il arrive fréquemment que des salariés profitent ou fassent profiter leurs collègues de rabais assez généreux, et pas toujours justifiés. Nous ne pouvons pas cautionner de telles pratiques. Il est cependant regrettable que ces deux employées soient renvoyées pour des brioches à 1,50 franc.» D'autant plus regrettable que cet usage était ancien dans le magasin: «Notre chef de rayon a prétendu ne pas être au courant. C'est impossible, ça fait quatre ans qu'on pratique de tels rabais sur la viennoiserie», explique Edwige. Mieux, le 26 janvier un autre salarié a acheté des brioches à 1,50 franc, et n'a pas été inquiété. «A croire qu'on voulait nos têtes», tranche-t-elle. Ecoeurée, elle déballe ses griefs: sa hantise de découvrir un produit périmé en rayon, «parce que là, pour le coup, la sanction tombait», ses engueulades avec son chef qui lui demandait d'aller en caisse et lui reprochait ensuite de pas s'être occupée suffisamment de ses rayons.
Avec son CAP de comptabilité, Edwige se demande ce qu'elle va faire. Comme Nadia, qui elle, a fait de la couture, avant d'entrer au Monoprix: «Quand je pense que pendant cinq ans je me suis levée tous les matins à 5 heures pour être à 6h30 au boulot, que j'ai dû trouver une nourrice qui accepte de prendre mes enfants à cette heure-là. Tout ça pour gagner le Smic et être renvoyée de la sorte.» La réintégration? Aucune n'y croit. «Vous avez entendu les employés, pas un ne bougera. Pourquoi voulez-vous que dans ce contexte, la direction cède?»
Nadya Charvet
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