Monsieur,
Une personne avait donné une maison en 1999 : l'usufruit à A non successible, la nu-propriété à B non successible. La personne donatrice décéde en 2002 (loi ancienne) . Il y a eu une demande de partage judiciaire et une expertise judiciaire. Le jugement et l'expertise date de 2009. Un mois après l'expertise l'usufruitier A décède. L'usufruit est éteint et la nue-propriété s'est muée en pleine propriété.
Aujourd'hui en 2011, le notaire liquidateur a fait le projet de partage : la maison est entièrement réductible.
Le nue-propriétaire devenu propriétaire fait valoir qu'une partie de la réduction est à la charge des héritiers de l'usufruitier. Il ne s'appuie sur aucun texte et dit seulement que c'est logique. Les héritiers de l'usufruitier s'appuient sur des textes de jurisprudence pour dire que l'indemnité de réduction se calcule sur la valeur au jour du partage compte tenu des plus ou moins values étrangères au fait du gratifié. Ils ajoutent que:
-la valeur de l'usufruit au jour du partage est nulle donc leur indemnité de réduction est nulle
-la valeur de la libéralité reçu par le nu propriétaire a subi une plus value du fait du décès de l'usufruitier avant le partage et par conséquent l'indemnité de réduction du nu propriétaire devenu propriétaire doit être calculée sur la valeur totale de la maison
Le notaire liquidateur hésite entre les deux solutions. Qu'en pensez-vous ?
Merci pour votre aide
Bonjour.
L'article 922 CC. semble contenir la réponse à votre problème: la valeur des biens pouvant subir réduction, est estimée au jour du décès du donateur (... "masse de tous les biens existant AU DECES"...); "d'après leur état à l'époque de la donation et leur valeur A L'OUVERTURE DE LA SUCCESSION".
Or au décès (2002) de ce dernier, B n'était titulaire que de la nue-propriété (A étant décédé en 2009).
"l'état" au jour de la donation, étant "en nue-propriété", est demeué tel jusqu'au décès du donateur.
L'appréciation ne se fait pas au jour du partage (ou alors, citez le texte).
Cependant, quid de la réduction à l'égard des héritiers de A, puisque nul ne peut hériter d'un usufruit (lequel se consolide au décès sur la tête du nu-propriétaire pour faire de celui-ci un tout-propriétaire à part entière) ? Aucun des effets de la donation ne semble pouvoir leur être opposable, et je les pense fondés à se prétendre "étrangers à l'affaire".
Je comprends quelque-peu la perplexité du confrère; auquel on ne peut que conseiller de consulter le CRIDON dont il dépend.
Bien à vous.
Monsieur,
Merci pour votre réponse, précise et rapide. Suite à votre réponse, il me semble que j’y vois plus clair
Le calcul de la réduction selon l'article 922 n'est remis en cause par personne. Tout le monde est d’accord avec le calcul des réductions en 2002 : 100% pour la nue-propriété et 100% pour l’usufruit. Mais du fait de l’usufruit éteint en 2009, ce qui pose problème est le paiement des réductions en 2011 : par qui et combien ?
Je suis d'accord avec vous pour dire que les héritiers de l'usufruitier A sont "étrangers à l'affaire". En 2011, ils ne doivent rien, l’usufruit ne leur a pas été transmis et de toute façon, en 2011, la valeur de l’usufruit (et à plus forte raison de sa réduction) est nulle
Cependant le nu-propriétaire n’est pas étranger à l’affaire. La nue-propriété est entièrement réductible d'après le projet de partage. Les calculs 2002 ne sont pas remis en cause . Comment sera réduite sa part et pour combien ?
Je vais analyser les deux sortes de réduction possibles due par le nu-propriétaire, telles que je les vois :
Réduction en nature :
D'après l'article 920 du CC dans sa rédaction antérieure à la loi de 2006, et d’après l’arrêt de cassation 68-13489 du 16 juin 1970 page 2, et également d’après un rapport du Sénat http://www.senat.fr/rap/l05-343-1/l05-343-1122.html « Si la libéralité est adressée à une personne qui n'est pas appelée à la succession, sa réduction tend à assurer la conservation des biens dans la famille et doit donc être opérée en nature », la réduction est exigible en nature car le donataire n'est pas successible et l'acte de donation n'impose pas la réduction en valeur.
En cas de réduction en nature de la nue-propriété, le nue-propriétaire retourne la nue-propriété dans la succession, et étant donné que l'usufruit n'existe plus, cela revient à dire que les héritiers réservataires retrouvent la pleine propriété C'est la solution privilégiée par les réservataires.
Réduction en valeur
Les héritiers réservataires pourraient peut-être s'appuyer sur 2 textes
- Cour de cassation chambre civile 1 Audience publique du mercredi 14 février 1990 N° de pourvoi: 88-16193 "Vu l'article 868 du Code civil ; Attendu, selon ce texte, que l'indemnité équivalente à la portion excessive d'une libéralité réductible en valeur, se calcule d'après l'état des objets donnés ou légués au jour où la libéralité a pris effet, et leur valeur à l'époque du partage ; que cette valeur doit être déterminée, compte tenu des plus values du bien donné provenant d'une cause étrangère au gratifié ;" Au jour du partage, en 2011, la nue-propriété s'est muée en pleine propriété et a donc subi une plus value provenant d'une cause étrangère au nu-propriétaire. Autrement dit l'indemnité de réduction devrait être calculée sur la valeur en pleine propriété.
-cassation Cour de cassation chambre civile 1 Audience publique du mardi 6 mai 1997 N° de pourvoi: 95-12480 : « Vu l'article 860 du Code civil ; Attendu qu'aux termes de ce texte, le rapport est dû de la valeur du bien donné à l'époque du partage, d'après son état à l'époque de la donation; qu'en cas de changement dans la destination du bien depuis la date de cette donation, il ne peut être tenu compte de ce changement que s'il résulte d'une cause fortuite ou étrangère à l'industrie du gratifié ou à une initiative de ce dernier » Cet arrêt s’analyse comme le précédent arrêt : il faut tenir compte de l'extinction de l'usufruit qui est une cause étrangère à l'industrie du gratifié, donc d'une valeur en pleine propriété
En conclusion
- cassation Cour de cassation chambre civile 1 Audience publique du mardi 13 octobre 1981 N° de pourvoi: 79-14973: « LA REDUCTION EN VALEUR DEVANT FAIRE AUX RESERVATAIRES UNE SITUATION AUSSI PROCHE QUE POSSIBLE DE CELLE QUE LEUR EUT PROCUREE LA REDUCTION EN NATURE » En comparant les deux modes de réduction analysés ci-dessus, il semblerait qu’ils soient identiques. La réduction en nature de la nue-propriété aboutit à une réduction de la pleine propriété du fait de l’usufruit éteint. La réduction en valeur calculée sur la valeur au jour du partage compte tenu des plus-values étrangères au gratifié et en tenant compte d'un changement de destination pour cause fortuite, on aboutit à la même situation que la réduction en nature
Qu’en pensez-vous ? Les héritiers réservataires peuvent-ils imposés la réduction en nature ?
Merci d'avance pour votre aide
Bonjour, Grandpres.
Le principe est que la réduction s'effectue en valeur, et non en nature (924-1): "Le gratifié PEUT..." (et non DOIT); et la réduction en nature est qualifiée de "dérogatoire". 924 pose le principe (§2: "paiement").
A noter que, comme vous l'avez mentionné, la date du décès se situe avant la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, éludant la prescription de 921 CC. § 2.
Dans "les biens existant au décès" servant à établir la masse de calcul, figure bien l'usufruit de A (vivant) pour sa valeur d'alors.
A était donc en 2002, débiteur de "l'indemnité de réduction"; cette dette "existait dans son patrimoine".
Donc même si son usufruit:
. ne pouvait pas être transmis par héritage,
. et s'est, par ailleurs, "évaporé";
on peut considérer que la dette de "l'indemnité de réduction", elle, s'est transmise. Ici est peut-être le noeud de l'affaire.
Cette façon de voir les choses, peut éclairer différemment cet intéressant problème.
Mais mais mais... 924-2.
Le notaire liquidateur a-t-il soumis le cas à son CRIDON ? Cette démarche offrant le double avantage de "l'éclairer", et de désengager sa responsabilité.
Si vous désirez "creuser la question", laissez ici une ligne (à vos risques et périls car elle subsistera).
Bien à vous.
P.-S. Pourquoi "Bonjour MONSIEUR" ?
Pourqoi MONSIEUR ? Je ne sais pas. Difficile de savoir qui est de l'autre côté de l'écran. Si je me suis trompée, c'est involontaire; veuillez dans ce cas accepter mes excuses.
Donc : Madame ou Monsieur,
Toute la succession est gérée par l'ancienne loi. Donc les articles 924-1 et 924-2 de la nouvelle loi ne s'appliquent pas. L'article 924 de l'ancienne loi s'applique uniquement à l'héritier réservataire pour lequel la réduction est en valeur. Les autres subissent la réduction en nature.
Je n'irai pas plus loin dans cette discussion. Je vous remercie pour vos réponses qui m'ont aidé à mieux comprendre. Le notaire a fait une demande au CRIDON. J'attends la réponse. Dès que je l'aurai, je la mettrai sur ce forum pour votre information.
Merci encore
Voici donc la réponse du CRIDON :
Le Cridon dit :
Le donataire a reçu la nue-propriété d'un bien dont la valeur au jour du partage a subi une forte plus value du fait de décès de l'usufruitier avant le partage. Or, le décès de l'usufruitier étant une cause étrangère au nu-propriétaire; par conséquent, l'indemnité de réduction dûe par le nu propriétaire doit être calculée sur la valeur totale de la maison (arrêt de cassation de 1996). Si la réduction a lieu en nature, le nu-propriétaire devenu propriétaire doit rendre la pleine propriété du bien (ou une portion si le bien n'est pas entièrement réductible)
En fait: on fait comme si le nu-propriétaire avait reçu la pleine propriété, car l'usufruit étant éteint, c'est comme s'il n'avait jamais existé
(c'est la même chose en droit fiscal pour le calcul de la plus value de cession en cas de vente d'un bien qui avait été donné en nu-propriété et dont l'usufruitier est décédé avant la vente)
Cordialement